Interview, 2 octobre 2023: Tribune de Genève; Charlotte Walser, Mario Stäuble
La conseillère fédérale chargée de l'asile s'exprime sur l'afflux de migrants à Lampedusa et les défis que cette situation représente pour la Suisse.
Madame Baume-Schneider, des images dramatiques nous parviennent de Lampedusa. Le nombre de demandes d'asile augmente également en Suisse. Quelles seront les difficultés dans les semaines à venir?
Les images sont bouleversantes. Elles montrent une situation très difficile. En même temps, il y a une certaine ambivalence. Les personnes qui arrivent à Lampedusa ont survécu à une traversée de la mer, une traversée au cours de laquelle beaucoup de gens meurent. Mais l'expérience montre que Lampedusa n'a pas d'impact fort sur la Suisse. Parmi les personnes qui arrivent à la frontière suisse via l'Italie, seuls 3% déposent une demande d'asile chez nous. Une grande partie de ces personnes vient d’Afrique du Nord et n'a pas droit à la protection. Si elles arrivent en Suisse, elles doivent repartir chez elles.
Le nombre de demandes d'asile augmente néanmoins. Quelles sont les prévisions pour l'automne?
Nous sommes toujours dans le scénario moyen. Nous prévoyons donc 28'000 à 30'000 demandes d'asile pour 2023.
Les hébergements se font rares. Depuis des mois, la Confédération et les cantons se chamaillent à propos des lits. En août, vous étiez encore confiante, mais aujourd'hui, la situation semble à nouveau mauvaise. Qui est à blâmer?
Ça ne sert à rien de se rejeter mutuellement la responsabilité. La Confédération, les cantons et les communes travaillent en étroite collaboration. La maîtrise de ce défi est une tâche commune. Je comprends que les cantons soient sous pression, mais je souhaite qu'il y ait davantage de solidarité entre eux. Certains mettent désormais des places à la disposition de la Confédération, d'autres non.
Jusqu'à présent, vous avez pu organiser 1000 places supplémentaires. Ce n'est pas suffisant, n’est-ce pas?
Nous le verrons bien. Nous disposons aussi des places que l'armée continue à nous laisser utiliser. Mais oui, nous avons besoin d'autres places pour avoir une certaine marge de manœuvre. Les conteneurs de 3000 places auraient été la meilleure solution pour le Conseil fédéral. Le parlement en a décidé autrement. Nous avons désormais beaucoup de travail pour une solution compliquée avec des logements dispersés. Mais je reste confiante.
On a l'impression que la Confédération et les cantons se renvoient mutuellement la responsabilité.
Quand on voit comment est la situation en Belgique, par exemple, où la pression migratoire est visible dans la rue.
Vous parlez des gens qui vivent dans la rue?
Chez nous, ce n'est pas le cas. Chacun et chacune a un toit au-dessus de sa tête. Mais là où vous avez raison, c'est que nous devons revoir le plan d'urgence en matière d'asile. Celui-ci prévoit actuellement 9000 places. Il en faudrait nettement plus pour les situations extraordinaires.
Les cantons et l'armée devront donc à l'avenir définir davantage de logements que vous pourrez laisser à la Confédération en cas d'urgence?
Ce n'est pas si simple. L'armée aura elle-même besoin à moyen terme de nombreuses infrastructures qui sont actuellement utilisées comme centres d'asile fédéraux. Nous allons désormais élaborer des propositions avec les cantons et les communes afin d'augmenter les capacités.
Vous venez de participer à la réunion des ministres de l'Intérieur de l'Espace Schengen. Ceux-ci luttent pour une réforme de l'asile. Comment évaluez-vous les chances qu'elle passe?
Le matin, nous avions tous le sentiment qu'avec la situation à Lampedusa, il y avait un élan pour parvenir à un accord. Tout le monde en avait envie. Mais au cours de la journée, l'Italie a fait part de ses objections. Les pays ont des attentes différentes, par exemple sur le traitement des familles dans les centres prévus aux frontières extérieures de l'Espace Schengen. J'espère et je crois toutefois qu'un accord sera bientôt trouvé. La réforme pourra alors être présentée au Parlement européen.
Il est prévu de renforcer la solidarité entre les États. La Suisse fera-t-elle partie des pays qui prendront en charge les réfugiés des pays frontaliers ou paiera-t-elle plutôt une contribution?
La Suisse n'est pas liée. Ce sera une discussion politique de savoir si et comment nous participons.
Quelle est votre position?
C'est le Conseil fédéral qui décidera. Je pars toutefois du principe que nous serons solidaires. Nous ne devons pas oublier: nous sommes des partenaires Schengen et nous participons déjà financièrement, par exemple à Frontex.
Le changement de pratique pour les Afghanes a suscité des critiques et des malentendus. Celles-ci obtiennent désormais l'asile au lieu d'une admission provisoire. Pourquoi ne pas avoir expliqué cette décision?
Le Secrétariat d’État aux migrations adapte en permanence la pratique pour de nombreux pays d'origine. Dans le cas des Afghanes, il a tenu compte de la directive de l'Agence européenne pour l'asile et de la pratique d'autres pays. La situation des femmes s'est fortement détériorée depuis la prise de pouvoir des talibans. Elles sont massivement opprimées en raison de leur sexe. Nous n'avons pas jugé bon d'afficher ce changement de pratique. Mais nous n'avons rien caché non plus. En mai, le Conseil fédéral a répondu à une question du parlement à ce sujet.
La question du retour des demandeurs d'asile déboutés dans leur pays d'origine préoccupe également le monde politique. Vous avez cité des chiffres intéressants à ce sujet au parlement: en Suisse, le taux de retour est de 57%, alors que dans l'UE, il n'a récemment jamais dépassé les 32%. Qu’est-ce que la Suisse fait de mieux que les autres pays?
Le Secrétariat d’État aux migrations fait un excellent travail de partenariat avec les pays d'origine. Les responsables parviennent à établir une relation de confiance, ce qui est très important. Cela n'est souvent pas assez perçu. La collaboration avec l'Algérie, par exemple, est très bonne. Au total, nous avons plus de 60 accords sur le retour et huit partenariats migratoires globaux, qui sont également dans l'intérêt des pays d'origine. Grâce au rapatriement systématique des demandeurs d'asile déboutés, notre politique d'asile est crédible et acceptée.
Et à quel niveau la Suisse doit-elle s'améliorer?
Lorsque la loi sur l'asile a été adoptée, on ne s'attendait pas à voir autant de mineurs non accompagnés. Nous devons réfléchir à l'encadrement, à la formation et à l'intégration. Si leur intégration ne réussit pas, nous courons le risque que ces jeunes nous causent des problèmes plus tard.
L'Italie ne reprend plus les demandeurs d'asile qui y ont été enregistrés en premier lieu. En avez-vous parlé avec votre homologue italien lors de la réunion des ministres de l'Intérieur?
J'ai abordé le sujet très directement lors de ma visite à Rome. Le ministre Matteo Piantedosi a dit que l'Italie était en train de développer ses structures d'asile. Et qu'ensuite le pays respecterait à nouveau les règles de Dublin. Dans la situation actuelle – avec la pression à Lampedusa et le manque de solidarité des autres pays – l'Italie a sans doute d'autres priorités que la réadmission des personnes en provenance d'autres pays. Mais oui, l'Italie doit également respecter les règles du jeu. On ne peut pas faire partie de Schengen et ensuite appliquer à la carte uniquement les règles qui nous conviennent.
Dans quelle mesure la Suisse est-elle solidaire de l'Italie?
La Suisse soutient financièrement l'Italie, Chypre et la Grèce. Pour l'Italie, 20 millions de francs sont prévus. Nous allons bientôt signer un accord à ce sujet.
Certaines personnes disent que la Suisse devrait retenir ce montant jusqu'à ce que l'Italie respecte à nouveau les règles.
Nous ne sommes pas à l'épicerie: si tu me donnes ceci, je te donnerai cela. Il s'agit d'autre chose. Pour éviter que des gens ne viennent chez nous, il faut les aider sur place. L'Italie n'est pas surchargée de gens qui y restent. L'Italie est sous pression parce qu'une route migratoire passe par le pays. Si nous aidons à mettre en place des structures, c'est aussi dans notre intérêt.
Le chef du groupe UDC, Thomas Aeschi, envisage une initiative populaire visant à protéger les frontières. Elle prévoirait notamment des contrôles systématiques aux frontières.
Or, la Suisse fait partie de Schengen. Le peuple l'a d'ailleurs confirmé à plusieurs reprises, notamment en disant clairement oui à Frontex. Des contrôles systématiques aux frontières intérieures ne peuvent être introduits qu'en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. Nous ne sommes pas dans une telle situation. À cela s'ajoute un aspect pratique: le trafic frontalier avec les nombreux frontaliers.
Cela mènerait à un véritable chaos au niveau de la circulation?
J'ai déjà entendu la proposition de faire deux colonnes: une pour les frontaliers et une pour les migrants. J'ai de légers doutes quant à l'efficacité de cette mesure. En ce moment, il y a beaucoup de politique déclamatoire: la première ministre italienne, Giorgia Meloni, a annoncé beaucoup de choses, mais les gens viennent quand même. Certaines idées sonnent bien, mais ne sont pas réalisables. L'idée selon laquelle on pourrait simplement fermer les frontières en fait partie pour moi.
Deuxièmement, Thomas Aeschi veut créer des zones de transit aux frontières, dans lesquelles les demandeurs d'asile doivent rester.
Le Conseil fédéral s'est également déjà exprimé à ce sujet. Je trouve cette proposition étrange. La charge serait reportée unilatéralement sur les cantons frontaliers. Il serait également juridiquement problématique d'enfermer des personnes dans des zones de transit sans motif de détention.
Troisième revendication: M. Aeschi veut supprimer l'admission provisoire.
Il est vrai qu'une grande partie des personnes admises à titre provisoire restent plus longtemps en Suisse. Mais on ne peut pas changer cela en supprimant simplement l'admission provisoire. Nous pouvons évidemment décider de renvoyer quelqu'un dans son pays d'origine. Mais si un pays – comme l’Érythrée par exemple – ne reprend pas ses citoyens et citoyennes, cela ne sert à rien. Nous ne pouvons pas simplement déposer les gens n'importe où. De fausses promesses se cachent derrière ce genre d'exigences. La population est ainsi trompée.
Les cas d'abus dans l'Église catholique ont récemment fait les gros titres. Des parlementaires demandent désormais à la Confédération d'agir. Elle est censée élaborer des concepts de protection et contrôler leur respect. Qu'en pensez-vous en tant que ministre de la Justice?
Je suis choquée par les résultats de cette étude. L'Église catholique a systématiquement protégé les agresseurs plutôt que les victimes. J'espère que les victimes continueront à trouver le courage de parler. Que pouvons-nous faire? La compétence revient en premier lieu aux cantons. Ils délivrent par exemple l'autorisation pour un internat et sont en contact avec les évêques. Mais je peux m'imaginer intégrer les abus au sein de l'Église dans la feuille de route sur la violence domestique et sexuelle. Il serait également envisageable que la Confédération joue un rôle de coordination au niveau des concepts de protection, mais je ne veux rien anticiper sur ce point. Ce qui est important, c'est que le droit pénal est au-dessus du droit ecclésiastique et que la justice doit désormais faire son travail.
Vous êtes en fonction depuis bientôt un an. Au parlement, vous vous êtes récemment montrée soulagée de répondre à une question liée à l'éducation. En tant qu'ancienne directrice de l'Éducation, vous connaissez bien le sujet, avez-vous déclaré. Cela donnait l'impression que vous n'étiez pas encore familière avec la justice et l'asile.
Si, bien sûr. Mais cela m'a fait plaisir de pouvoir faire référence à mon passé professionnel. En Suisse alémanique, on ne me connaît pas très bien. Certains pensent que j'ai été éleveuse de moutons.
Dans les sondages, vous avez jusqu'à présent obtenu de mauvais résultats. On pense que vous êtes la conseillère fédérale la moins influente.
Ce sont – à l'exception d'Alain Berset – les Latins qui sont considérés comme moins influents. Bien sûr, cela ne me fait pas plaisir. Mais je peux vous assurer que je ne dors pas au Conseil fédéral. Je m'implique.
Pour l'instant, trois hommes sont candidats à la succession d'Alain Berset: Aebischer, Jans, Jositsch. Une partie du PS argumente ainsi: pendant plus de cent ans, le Conseil fédéral n'a été composé que d'hommes, maintenant la balance pourrait gentiment pencher de l'autre côté. En d'autres termes: deux femmes socialistes au Conseil fédéral sont également souhaitées. Qu'en pensez-vous?
J'aimerais bien qu'une femme se présente. Ensuite, c'est le groupe parlementaire qui décide. Chez moi, on disait qu'une Romande n'avait aucune chance. Et voilà.
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Dernière modification 02.10.2023