Allocution de M. Michael Leupold, directeur de l’OFJ

Berne. Conférence de presse du 21 octobre 2008

Mesdames,
Messieurs,

La prescription pénale est une institution prévue par la grande majorité des systèmes juridiques. La doctrine justifie cette institution par divers arguments, les plus importants étant que le besoin de répression et de représailles s’estompe au fil du temps et que la prescription incite les autorités de poursuite pénale à agir avec célérité. Des raisons d’opportunité plaident également en faveur des délais de prescription : en effet, plus le temps s’écoulant entre le moment où l’acte a été commis et le moment où la procédure pénale est ouverte est long, plus il est difficile d’administrer les preuves et d’élucider les faits, ce qui augmente considérablement le risque d’erreur judiciaire.

Si le principe de la prescription est durablement ancré dans notre système, les délais de prescription, eux, changent au fil du temps. Il n’est que prendre l’exemple du délai de prescription applicable aux infractions contre l’intégrité sexuelle pour s’en convaincre :

Dans son message du 26 juin 1985 concernant la révision du droit pénal en matière sexuelle, le Conseil fédéral proposait de ramener, dans l’intérêt de la victime, le délai de prescription de dix à deux ans, et donc de tenir compte de l’expérience acquise par les psychologues et les psychiatres dans ce domaine. Aux yeux du Conseil fédéral, il s’agissait « d’éviter que l’enfant qui a retrouvé son équilibre psychologique ne soit à nouveau bouleversé par l’enquête et les actes d’instruction subséquents. » En outre, « la brièveté du délai de prescription [devait] également favoriser le rassemblement des preuves, particulièrement difficiles à apporter dans ce domaine ». Le Parlement s’est toutefois opposé à une réduction aussi drastique du délai de prescription, arguant que les psychiatres ont quelquefois tendance à oublier le devoir de l’Etat de poursuivre pénalement et de punir l’auteur de l’infraction pour ne penser qu’à ménager la victime. Au cours des délibérations, les Chambres fédérales se sont finalement prononcées en faveur d’un délai de prescription de cinq ans.

Peu de temps après l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions pénales sanctionnant les infractions contre l’intégrité sexuelle des enfants en 1992, un revirement de l’opinion publique a eu lieu à la suite de l'émotion suscitée par certains cas d'abus sexuels commis envers des enfants et de la prise de conscience croissante de la problématique du tourisme sexuel. La question de la prescription des infractions contre l’intégrité sexuelle des enfants est revenue au centre des discussions, faisant l’objet de plusieurs interventions parlementaires.

En 1996, la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N) a considéré que la réduction du délai de prescription « laiss[ait] le champ libre aux auteurs » car les sévices infligés aux enfants ne sont bien souvent révélés au grand jour que des années plus tard lors de consultations médicales ou psychothérapeutiques. Elle a jugé qu’il y avait un besoin urgent de légiférer et a déposé, selon la procédure accélérée, une initiative parlementaire qui a permis de fixer à nouveau le délai de prescription à dix ans dès 1997.

« Pour tenir compte pleinement des dernières constatations en matière de criminologie et de protection des victimes », la CAJ-N a déposé une motion avant l’entrée en vigueur du nouveau délai de prescription de dix ans. Cette motion a été à l’origine d’une nouvelle révision du droit pénal qui a conduit à mettre en place la règlementation en vigueur depuis 2002 : depuis lors, le délai de prescription est de 15 ans pour les actes de violence et les actes sexuels graves commis envers des enfants. Par ailleurs, la prescription court en tous cas jusqu’au jour où la personne a 25 ans.

Alors que les délais de prescription ont fait l’objet de trois modifications au cours de ces 16 dernières années, nous sommes aujourd’hui confrontés à une initiative exigeant l’imprescriptibilité des actes sexuels ou pornographiques commis sur des enfants impubères. En donnant suite à cette initiative populaire, nous passerions d’un extrême – la révision de 1992 qui prévoyait un délai de prescription de deux à cinq ans – à un autre. Avec le contre-projet indirect, le Conseil fédéral et le Parlement ont trouvé une solution juste et équilibrée, qui est par ailleurs en harmonie avec la règlementation en vigueur dans la plupart des pays européens.

Dernière modification 21.10.2008

Début de la page